Chevreuils adultes retrouvés morts : ce que disent vraiment les indices sanitaires ?

Chevreuils adultes retrouvés morts : ce que disent vraiment les indices sanitaires ?

Depuis l’automne dernier, des signalements de chevreuils retrouvés morts se multiplient dans plusieurs départements : Ille-et-Vilaine, Oise, Haute-Marne, Territoire de Belfort, Finistère, Vosges. Des animaux adultes, parfois observés auparavant en bon état corporel, sont découverts amaigris, avec un tube digestif plein… mais une digestion manifestement anormale. Les premières analyses nécropsiques confirment un tableau complexe : rien qui évoque une « maladie unique » fulgurante, mais un faisceau de causes où l’alimentation, le stress végétal et le parasitisme pèsent ensemble. Tour d’horizon sanitaire, sans détour.

Un même scénario dans plusieurs territoires : un rumineur au menu déréglé

Les dossiers traités en fin 2024 dans l’Ouest et l’Est partagent des constantes. Dans la panse et l’intestin, les vétérinaires constatent un contenu abondant, preuve que l’animal continuait à s’alimenter, mais d’une manière qui ne lui réussit pas. Plusieurs rapports signalent des végétaux inhabituels pour l’espèce (graminées « dures » comme luzule et fétuque, maïs germé ramassé en plaine, feuilles de Prunus padus à effet diurétique), parfois des glands altérés avec suspicion de moisissures. On relève aussi des éléments « étranges » — insectes, asticots, poils — signatures possibles d’un pica (léchage/ingestion non alimentaires) lié au stress ou à des carences minérales.

Ces écarts de régime ne viennent pas de nulle part. Le chevreuil (un cervidé « sélecteur de plantes tendres ») dépend au jour le jour de pousses riches en azote. Or l’enchaînement climatique récent (sécheresse estivale, automnes doux puis hiver sec et froid tardif) a mis sous stress la végétation. La ressource « facile » manquant, les individus se rabattent sur des végétaux moins digestibles, accumulent du volume mais peu de valeur nutritive, dérèglent leur intestin et ouvrent la porte aux parasites.

Polyparasitisme, maldigestion, amaigrissement : la mécanique d’une « hécatombe » diffuse

Dans ces épisodes, les laboratoires retrouvent souvent ce trio : maldigestion, diarrhée inconstante, polyparasitose. Les strongyloses gastro-intestinales (vers de la caillette et de l’intestin grêle) diminuent l’absorption et saignent littéralement la muqueuse ; les strongyloses pulmonaires (« bronchite vermineuse ») fatiguent la respiration et l’oxygénation. Le cycle est connu : œufs excrétés au sol, larves qui montent sur les herbes, nouvelle infestation à l’ingestion. En année « pauvre », un animal déjà affaibli bascule : amaigrissement, poil terne, apathie, puis mort. C’est spectaculaire à l’échelle d’un secteur, mais ce n’est pas « mystique » : c’est une biologie sous stress environnemental.

La piste bactérienne : Mannheimia granulomatis, des lésions buccales qui coupent l’appétit

Autre pièce du puzzle : des fédérations départementales (Loire, Finistère) ont rapporté des cas positifs à Mannheimia granulomatis chez le chevreuil. Cette bactérie, connue des bovins pour des formes pulmonaires, se manifeste ici par des abcès et lésions de la langue et de la muqueuse buccale. Conséquence directe : douleur, défaut de prise alimentaire, altération de la fonction digestive. L’individu mange moins, mal, et glisse vers un dépérissement où viennent se greffer des parasites. Les signaux restent locaux et hétérogènes : rien ne prouve à ce stade que M. granulomatis explique la baisse d’effectifs observée ici ou là, mais l’agent a été détecté et il complique des situations déjà fragiles. À retenir : une maladie qui n’est pas « nouvelle », probablement sous-diagnostiquée, et qui aggrave l’effet digestif des années difficiles.

Ce que le réseau SAGIR a (déjà) écarté

Face à la phrase qui affole (« ils meurent partout »), la méthode compte. Le Réseau SAGIR (OFB, Anses, FNC) a communiqué sur plusieurs points d’évidence : pas de maladie à prions (CWD) détectée, pas de fièvre catarrhale bovine incriminée, pas de toxique « découvert » en série. Autrement dit : on n’observe pas, en 2024–2025, une épidémie unique, mais la coïncidence de facteurs alimentaires, parasitaires et bactériens sur des territoires où la ressource végétale s’est dégradée. Ce diagnostic n’exonère pas la surveillance : il la précise.

« On a trouvé un chevreuil mort » : le bon réflexe, utile aux vétérinaires

Dans une commune, au bord d’un champ ou en lisière de forêt, le mode d’emploi est simple. On contacte la mairie (service technique) pour l’évacuation vers l’entreprise agréée (équarrissage). Hors agglomération, Gendarmerie ou Police font le relais légal. Et si un épisode de surveillance est en cours dans votre département, signalez-le : l’agent SAGIR peut demander un prélèvement rapide (foie, intestin, ganglions) ou une nécropsie complète. Évitez de manipuler le cadavre ; une photo, l’heure, un point GPS suffisent. Chaque jour gagné entre la découverte et l’analyse augmente la qualité des résultats.

Témoignages recoupés : ce que disent celles et ceux qui tombent dessus

Les observations qui remontent des territoires se ressemblent. « Il semblait trouvé au petit matin, couché en boule, pas de sang, très maigre », résume un agriculteur de plaine. Une garde-chasse locale parle d’individus « avec les pattes souillées par la diarrhée, poil hirsute, et la panse remplie d’herbe râpeuse ». Un technicien de fédération évoque « des chevrillards et des adultes retournés en laboratoire, plusieurs formes digestives observées, mais pas de “grande cause” unique ». Ces récits ne « font pas science » ; ils orientent les prélèvements vers les bons organes et rappellent que l’épisode n’est pas réservé aux jeunes.

Changement climatique : quand la biologie s’ajuste mal

Chez le chevreuil, tout est calé depuis des millénaires sur la phénologie des végétaux : mise bas des faons quand les pousses « explosent », lactation quand l’azote est au plus haut. Quand ces saisons se déplacent, quand les sécheresses s’allongent puis cèdent à un froid tardif, l’animal « sélecteur » perd sa fenêtre optimale. À court terme, cela se voit sur la balance (poids en baisse), sur la muqueuse intestinale (fragilisée) et dans les coproscopies (plus de parasites). À moyen terme, des travaux européens montrent un décalage naissances/ressources qui augmente la mortalité des faons et fatigue les femelles. L’hiver dernier n’a pas « inventé » le problème ; il l’a rendu visible.

« Mortalité anormale » : à partir de quand le dire ?

Le terme, repris dans des notes départementales, a un sens sanitaire précis : nombre de cadavres ou d’animaux affaiblis observé supérieur au bruit de fond, sur une zone et une période donnés, avec des lésions récurrentes (digestives, linguales). Il ne dit pas « épidémie », il dit « priorité de surveillance ». Dans les Hauts-de-France et l’Ouest breton, l’alerte a été jugée justifiée cet automne ; ailleurs, les cas restent ponctuels. La nuance est importante : elle évite de mélanger « mystère national » et situations locales bien documentées.

Les bonnes questions, posées dans le bon ordre

S’agit-il d’une nouvelle maladie ? À ce stade, non. On voit surtout des maladies connues (strongyloses, stomatites bactériennes) qui profitent d’animaux affaiblis.
Un agent unique explique-t-il tout ? Les prélèvements ne pointent pas une « grande cause ». Plusieurs agents causent des tableaux proches ; c’est leur conjonction avec un régime alimentaire dégradé qui tue.
Pourquoi des adultes ? Parce que les adultes aussi subissent le stress végétal ; et parce que des lésions linguales (type Mannheimia) peuvent couper l’alimentation chez un mâle ou une femelle en apparence robuste.
Faut-il craindre pour la « population » ? Pas de chiffre national alarmant consolidé pour l’instant. Des baisses locales existent, d’autres territoires voient au contraire une présence stable. Seules des séries pluri-annuelles diront si l’épisode 2024–2025 laisse une trace durable.

Comment la veille sanitaire travaille (et pourquoi votre signalement compte)

Le jour où un appel arrive, un agent SAGIR déclenche une chaîne : récupération du cadavre frais, nécropsie, copro et bactério, description standardisée des lésions (intestin, poumon, langue), recherche de moisissures sur le contenu. On compare par département, par mois, on cartographie les secteurs, on discute avec les techniciens de fédération. En face, les forêts locales documentent l’état des glands, les agriculteurs signalent les dates de maïs couché ou de foins tardifs. Peu spectaculaire… mais c’est ainsi que tombe la bonne explication.

À ne pas faire, même avec les meilleures intentions

Ne déplacez pas un chevreuil blessé ni un cadavre « pour aider » : vous altérez les indices et vous vous exposez. Ne donnez pas d’eau ni de pain : les ruminants en collapsus digestif le tolèrent mal. Et surtout, ne consommez jamais un animal sauvage mort de cause inconnue : aucun « bon sens » culinaire ne remplace un contrôle vétérinaire.

Trois « cas d’école » pour lire ce que vous voyez

Un chevreuil adulte retrouvé maigre avec diarrhée, pelage piqué, panse pleine d’herbe grossière : pensez maldigestion + strongyloses sur fond de ressource dégradée.
Un mâle adulte qui salive, langue épaissie avec ulcérations, refus de brouter : suspectez lésion buccale (piste Mannheimia), surtout si d’autres animaux du secteur sont atteints.
Un chevrillard de fin d’année isolé, amaigrissement rapide sans autre lésion : l’issue dépendra plus de la météo et de l’énergie restante que d’un « microbe ». Là encore, le prélèvement dira la vérité.

Et maintenant ? Continuer à documenter

L’Office français de la biodiversité, les fédérations départementales des chasseurs et les labos partenaires poursuivent la surveillance. Les prochains mois diront si la mortalité observée retombe au niveau habituel lorsque la ressource végétale repart, ou si certains territoires restent en tension. Entre-temps, votre rôle n’est pas anecdotique : un signalement clair, une photo, un lieu, une heure, c’est une donnée de plus. C’est ainsi qu’on passe du « mystère » à l’explication, puis, s’il le faut, à l’adaptation locale des pratiques (points d’eau, pierres à sel à espacer pour limiter les contacts à risque, arrêtés locaux de surveillance sanitaire).

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Rédacteur en chef, SoChasse

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