Dans une enquête diffusée sur France Inter, le journaliste Jacques Monin s’interroge : « Pourquoi Emmanuel Macron courtise-t-il autant les chasseurs ? ». Une question qui dépasse les apparences. Derrière les photos prises à l’occasion d’une après chasse à Chambord il y ‘avait au fond une stratégie politique assumée. Dans un contexte où la ruralité se sent souvent marginalisée, la relation entre le pouvoir exécutif et les chasseurs n’a rien d’anodin: elle est électorale, territoriale, et idéologique.
Une force électorale organisée et enracinée
Les chasseurs en France représentent plus d’un million de détenteurs de permis, selon les chiffres de la fédération nationale des chasseurs. Ils sont présents sur 80 % du territoire, mobilisés par des associations locales, structurés en fédérations départementales. Pour un président de la République, il s’agit là d’un réservoir de voix puissant, surtout dans les zones rurales, là où la défiance vis-à-vis des élites parisiennes est forte.
Jacques Monin rappelle que la chasse n’est pas qu’un loisir, c’est un acte culturel, un marqueur d’identité, voire une revendication politique. Emmanuel Macron, dès le début de son premier quinquennat, l’a bien compris : courtiser les chasseurs, c’est envoyer un signal à la France des campagnes.
Emmanuel Macron et Willy Schraen : une alliance de terrain
L’actuel président de la fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, est devenu l’un des interlocuteurs réguliers de l’Élysée. Depuis 2017, les rencontres entre les deux hommes se sont multipliées : entretiens privés, invitations à l’Élysée, concertation sur les sujets sensibles comme les accidents de chasse, les jours de chasse autorisés, ou la réglementation des espèces nuisibles.
Dans son reportage, Jacques Monin souligne que cette proximité n’a rien d’improvisé. Emmanuel Macron, pragmatique, a très tôt saisi que la chasse en France cristallisait des enjeux bien plus larges : gestion des territoires, préservation de la biodiversité, lutte contre les espèces envahissantes, dialogue rural-urbain.
Réduire le prix du permis : une main tendue au monde cynégétique
En 2019, une décision emblématique illustre cette politique d’ouverture : le prix de la validation du permis de chasse national est réduit de 300 € à 200 €, mesure saluée par la FNC. Macron montre alors qu’il n’oublie pas le monde rural, tandis que ses opposants l’accusent de « cadeau électoral ».
Jacques Monin insiste sur cet aspect dans son enquête : « ce n’est pas une mesure anodine ». Cette baisse a été vue comme un acte symbolique fort, contrastant avec l’image d’un président jugé éloigné des préoccupations des campagnes. D’autres gestes suivront, notamment la reconnaissance du rôle des chasseurs dans la régulation du sanglier et la valorisation du plan de chasse comme outil de gestion durable de la faune sauvage.
Chasse et écologie : un équilibre stratégique
Pourquoi Emmanuel Macron s’adresse-t-il aux chasseurs tout en se réclamant écologiste ? Parce qu’il entend incarner une écologie de terrain, souvent opposée à une écologie plus idéologique. Le président assume une vision où la chasse participe à la biodiversité, en tant qu’outil de gestion cynégétique, de régulation des espèces, voire de surveillance sanitaire.
Dans l’enquête de France Inter, Jacques Monin rappelle que le pouvoir présidentiel cherche une voie médiane : éviter les extrêmes anti-chasse tout en canalisant les dérives de sécurité. D’où le lancement de mesures encadrant mieux la chasse en battue, la formation à la sécurité, et la communication des jours de chasse dans les massifs forestiers.
Une réponse à la crise des Gilets Jaunes ?
La révolte des Gilets Jaunes, en 2018, a mis en lumière une fracture territoriale profonde. Emmanuel Macron, dans sa volonté de réconcilier les campagnes et les institutions, a vu dans les chasseurs un relais d’apaisement. Acteurs ancrés dans la ruralité, présents dans chaque commune, les chasseurs peuvent être des ambassadeurs locaux du dialogue républicain.
Jacques Monin évoque ce virage stratégique : « Macron a compris que les chasseurs ne sont pas seulement des fusils : ce sont des voix, des élus municipaux, des agriculteurs, des référents culturels ». En les associant davantage aux décisions locales, le président cherche à renouer avec les territoires oubliés.
Le poids des traditions face aux débats sociétaux
La chasse à courre, la vénerie sous terre, les chasses traditionnelles sont autant de pratiques qui divisent l’opinion. Chaque année, des recours juridiques menacent certaines techniques, parfois déclarées contraires aux directives européennes. Et pourtant, le président Macron prend soin de ne pas heurter trop violemment le monde cynégétique, préférant des moratoires temporaires ou des réaménagements progressifs.
Jacques Monin interprète cette prudence comme un calcul électoral autant qu’un respect du pluralisme culturel : « Emmanuel Macron sait que le rapport à la nature varie selon les territoires. Il ne veut pas en faire un clivage gauche-droite, mais une concertation apaisée. »
Une stratégie efficace, mais critiquée
Les associations écologistes et les mouvements animalistes dénoncent depuis plusieurs années la complaisance de l’État envers la chasse. Ils pointent du doigt des arbitrages politiques en faveur des chasseurs, notamment sur les dates d’ouverture et de fermeture, la destruction d’espèces classées ESOD, ou encore la chasse aux oiseaux migrateurs.
Pour ces organisations, la chasse est une pratique archaïque, parfois dangereuse, souvent contraire à une vision moderne de la nature. Jacques Monin, dans son travail d’investigation, montre bien cette tension permanente : le président tente d’arbitrer entre deux France, celle qui chasse et celle qui conteste la chasse.
2027 : un électorat à ne pas négliger ?
À l’approche de l’élection présidentielle de 2027, la voix des chasseurs demeure influente. Bien que non majoritaire, elle est mobilisée, stratégiquement implantée, et capable de faire basculer des votes dans certaines régions. Emmanuel Macron ne pouvant pas se représenter, son héritier ou dauphin politique pourrait capitaliser sur cette base électorale construite depuis 2017.
En conclusion de son enquête, Jacques Monin ne donne pas de jugement. Il pose simplement la question : courtiser les chasseurs est-ce une stratégie électorale cynique ou un pont vers la réconciliation avec les territoires ruraux ? Les faits, eux, sont clairs : jamais un président n’a autant dialogué avec le monde de la chasse. Pour autant, il aura permis le dialogue et en même temps il aura placé des ministres très anti-chasse à l’écologie. Le « en même temps » caractéristique de la macronie!





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