Chasse en Allemagne : un pays de traditions en pleine mutation

Chasse en Allemagne : un pays de traditions en pleine mutation

La chasse allemande, entre culture et rigueur réglementaire

La chasse en Allemagne s’impose comme l’une des plus réglementées et structurées d’Europe. Ancrée dans l’histoire rurale du pays depuis le XIXᵉ siècle, elle était autrefois réservée à une élite foncière. Aujourd’hui, elle est largement démocratisée et suscite un fort engouement. L’histoire de la chasse montre une continuité dans la préservation des équilibres naturels et une gestion durable du gibier en Allemagne. Chaque chasseur allemand est considéré comme un gestionnaire de la biodiversité, œuvrant à la fois pour la régulation du gibier, la préservation des milieux, et l’équilibre forêt-faune.

Un système de formation exigeant pour les candidats

Obtenir le permis de chasser est loin d’être une formalité en Allemagne. Surnommé le « baccalauréat vert », ce diplôme s’obtient après une formation théorique et pratique complète : balistique, droit, anatomie, biologie des espèces, reconnaissance des animaux chassés. Le coût des cours varie entre 1500 et 3000 €, sans compter les frais d’examen et d’adhésion à une association cynégétique locale. Une fois le permis acquis, le chasseur peut louer un territoire ou être invité à participer à une battue.

Chasse de jour et de nuit : deux pratiques encadrées

La chasse de jour est la plus répandue : affût au chevreuil, battues au sanglier ou au cerf, prélèvement à l’approche. La chasse de nuit, elle, est autorisée sous conditions strictes pour certaines espèces envahissantes comme le sanglier, avec des équipements thermiques encadrés. Ces méthodes ont pour but de contenir l’augmentation du nombre d’animaux et les dégâts agricoles, tout en maintenant le respect de la vie sauvage.

Chiffres de la chasse : un pays record en Europe

En 2024, l’Allemagne comptait 460 771 chasseurs actifs, soit l’un des taux les plus élevés d’Europe en proportion de la population. Cette augmentation de chasseurs traduit un nouvel attrait sociétal pour la chasse pratiquée. La fédération nationale DJV rapporte que plus de 1,5 million d’animaux sont prélevés chaque année, dont la majorité sont des sangliers, des cerfs, et des chevreuils. Le nombre de permis de chasser délivrés est en constante progression, notamment grâce à l’arrivée de nouveaux profils : jeunes urbains, femmes, actifs, étudiants.

Lois sur la chasse : des règles strictes et régionales

La réglementation de la chasse est encadrée par le Bundesjagdgesetz, mais chaque Land peut modifier certains éléments selon ses spécificités. Plusieurs sujets font débat : interdiction de l’entraînement des chiens sur gibier vivant, limitation du piégeage, suppression du plan de tir régional, ou encore vénerie sous terre menacée de disparition. Dans certains Länder, les codes forestiers imposent des restrictions supplémentaires sur les armes, les zones protégées, et la gestion des espèces.

Le gibier en Allemagne : diversité et gestion durable

Les animaux chassés en Allemagne sont variés : sangliers, cerfs, chevreuils, faisans, bécasses, lièvres, perdrix. Le tir est autorisé dans des périodes strictes, avec un suivi précis de chaque animal abattu. Chaque chasseur de gibier doit inscrire ses prélèvements dans un registre. Les prélèvements sont étudiés chaque année par les Länder pour adapter les plans de chasse. La gestion du gibier en Allemagne est considérée comme l’une des plus rigoureuses d’Europe.

Un vent nouveau : la révolution générationnelle

Dans son reportage « Les Nouveaux Chasseurs », diffusé le 4 avril 2025 sur Arte, le journaliste Baudouin de Saint Léger explore la transformation de la chasse allemande. Ce documentaire met en lumière une nouvelle vague de chasseurs en Allemagne, jeunes, urbains, souvent féminins, en rupture avec les clichés. Ces candidats ne viennent pas de familles de chasseurs : ils entrent dans la pratique pour des raisons éthiques, écologiques, et alimentaires. La traçabilité de la viande, la volonté de connaître l’origine de ce qu’ils mangent, et la recherche d’une autonomie alimentaire sont les principales motivations.

On y suit notamment Claudia, 27 ans, psychologue et influenceuse, qui forme des candidats au tir. Elle incarne cette génération connectée, engagée, mais souvent confrontée à des critiques sexistes. Pourtant, comme d’autres chasseurs actifs, elle défend une chasse consciente, régulée, qui s’intègre dans un rapport sain à la nature. Les cours dispensés sont extrêmement rigoureux : anatomie des espèces, écologie forestière, reconnaissance des fanfares de chasse… Ces formations combinent tradition cynégétique et exigence contemporaine.

Une viande éthique pour une société en mutation

Dans une autre enquête parue le 26 février 2021, Le Figaro met en lumière l’émergence d’une nouvelle génération de chasseurs post-covid. Shosanna Rays, l’une des témoins, explique : « Pour moi, il est important que je sache d’où vient la viande que je mange. Je veux en manger moins, mais mieux. » Cette quête de viande éthique, transparente, locale, répond à un rejet croissant des circuits industriels. La crise sanitaire, en révélant les conditions sanitaires dans les abattoirs, a renforcé cette prise de conscience.

La fédération des chasseurs d’Allemagne confirme que de nombreux jeunes utilisent les réseaux sociaux pour valoriser une image moderne de la chasse, fondée sur le respect du vivant, la solidarité rurale, et l’autonomie. Le message de ces nouveaux profils : la chasse ne se résume pas au tir, elle implique de dialoguer avec les agriculteurs, de gérer les forêts, et de transmettre une culture responsable.

Consommation de gibier : une réponse à l’inflation

Dans un article publié le 17 mai 2023, Der Spiegel rapporte une augmentation significative de la consommation de venaison en Allemagne. Entre 2021 et 2022, plus de 30 000 tonnes de viande de gibier ont été consommées, soit une hausse de 5 %. Deux phénomènes expliquent cette tendance : la volonté de manger plus sainement, hors des circuits industriels, et l’inflation galopante sur la viande classique.

Les sangliers et cervidés sont les plus prisés, notamment dans les cantons ruraux. Alors que la consommation totale de viande en Allemagne est tombée à 52 kg par habitant (le plus bas depuis 1989), celle du gibier continue de progresser. Les chasseurs locaux incitent les consommateurs à privilégier les circuits courts : vente directe à la ferme, achats auprès d’associations de chasse, boucheries spécialisées.

Mobilisation historique en Basse-Saxe : 20 000 chasseurs dans la rue

Dernier événement marquant : la vaste mobilisation de 20 000 chasseurs, forestiers et agriculteurs le 3 février 2025 à Hanovre. À l’origine, une volonté de la ministre verte Miriam Staudte de restreindre le droit de chasse en Basse-Saxe : interdiction de l’entraînement des chiens, limitation du piégeage, suppression du plan de tir régional pour le chevreuil. Ces projets ont été dénoncés comme une écologie punitive par la fédération régionale (LJN) et la DJV.

Sous la pression, la ministre a annoncé être prête à dialoguer avec les chasseurs. La coalition SPD-Verts, alors au pouvoir, a été fragilisée : les sociaux-démocrates ont publiquement désapprouvé plusieurs mesures. Cette victoire symbolique des chasseurs de Basse-Saxe est devenue un exemple pour d’autres régions d’Allemagne et même pour la France, où de telles manifestations restent rares.

Une leçon pour l’Europe ?

La chasse allemande apparaît aujourd’hui comme un modèle paradoxal : à la fois ancrée dans ses traditions cynégétiques, extrêmement encadrée par la loi, et pourtant ouverte à des profils nouveaux, porteurs de sens et de responsabilité. Les chasseurs allemands, loin de se cantonner à l’image rustique, s’affirment comme des acteurs engagés dans la préservation de la biodiversité, la transmission des savoirs, et une consommation éthique de la viande.

De la formation exigeante, à la gestion du gibier, jusqu’à la mobilisation collective, l’Allemagne montre qu’il est possible de concilier tradition, écologie, modernité et solidarité rurale. Un message fort pour les chasseurs français et européens en quête de sens et de reconnaissance.

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Rédacteur en chef, SoChasse

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