Dégâts de gibier en France : comment fonctionne l’indemnisation ?

Dégâts de gibier en France : comment fonctionne l’indemnisation ?

En France, chaque année, les sangliers, chevreuils et cerfs causent plusieurs millions d’euros de dégâts dans les cultures agricoles. Pour les exploitants touchés, la question n’est pas seulement de savoir comment protéger leurs parcelles, mais surtout comment être indemnisés. Depuis plusieurs décennies, l’État a confié aux chasseurs une mission d’intérêt général : prendre en charge l’indemnisation des dégâts de gibier. Ce système, unique en Europe, repose sur un principe de solidarité cynégétique. Mais comment fonctionne-t-il ? Qui paie ? Et quelles sont les démarches à suivre pour être indemnisé ?

Un dispositif prévu par la loi

Le principe d’indemnisation des dégâts de gibier est inscrit dans le Code de l’environnement, à l’article L426-1. Il précise que les fédérations départementales des chasseurs sont responsables de la réparation des dommages causés par certains animaux sauvages, essentiellement le sanglier, le cerf élaphe, le chevreuil et parfois le mouflon. Ces espèces, dites « grand gibier », sont à la fois protégées et régulées. En contrepartie du droit de chasse accordé sur le territoire national, les chasseurs prennent en charge financièrement les dégâts occasionnés par ces animaux sur les exploitations agricoles.

Une obligation d’assurance pour les fédérations

Pour assumer cette responsabilité, les fédérations sont tenues de souscrire une assurance spécifique, alimentée par les cotisations des chasseurs. Ce sont donc bien les chasseurs eux-mêmes qui financent le dispositif d’indemnisation, via les redevances de validation du permis de chasser. Chaque année, ce fonds spécifique est évalué et réajusté en fonction du coût réel des dommages, qui ne cesse d’augmenter. En 2022, la facture nationale a dépassé les 80 millions d’euros, principalement dus aux sangliers.

Qui peut être indemnisé ?

L’indemnisation concerne uniquement les professionnels agricoles : agriculteurs, viticulteurs, maraîchers, arboriculteurs ou céréaliers. Il faut justifier d’une activité déclarée et de revenus tirés de l’agriculture pour y prétendre. Les particuliers, même propriétaires de jardins ou de vergers, ne sont pas éligibles au dispositif. Cette restriction est souvent mal comprise, mais elle s’explique par la volonté de cibler les dommages à caractère économique.

Quels types de dommages sont pris en compte ?

Tous les dégâts causés directement par le gibier sur les cultures en production sont potentiellement indemnisables : cultures détruites, plants arrachés, blés couchés, maïs ravagé, vignes piétinées, jeunes arbres endommagés. En revanche, les dommages aux clôtures, les pertes de temps, les frais de replantation ou les pertes de rendement non prouvées ne sont pas automatiquement remboursés. Une évaluation précise est réalisée sur le terrain par un expert mandaté par la fédération.

Comment faire une demande d’indemnisation ?

Lorsqu’un agriculteur constate des dégâts, il doit en faire la déclaration auprès de sa fédération départementale dans un délai très court, souvent 48 à 72 heures. Un formulaire spécifique est à remplir, accompagné de photographies, d’un plan de situation et parfois de données GPS. Un agent technique ou un estimateur agréé se rend ensuite sur les lieux pour évaluer l’étendue des dégâts, leur origine (vérification qu’il s’agit bien de sangliers ou chevreuils), et le préjudice économique.

Le calcul de l’indemnisation

L’évaluation est faite selon un barème départemental élaboré en concertation avec les chambres d’agriculture. Il prend en compte la culture touchée, la surface détruite, le stade de développement de la plante, et le prix de marché du produit concerné. Une fois le rapport validé, la fédération transmet une proposition d’indemnisation à l’agriculteur, qui peut l’accepter ou demander une contre-expertise. En cas de désaccord persistant, un recours administratif ou judiciaire est possible.

Le cas particulier des battues administratives

Dans certains départements, lorsque les dégâts deviennent trop importants, le préfet peut ordonner des battues administratives, en dehors des périodes normales de chasse. Ces actions sont coordonnées par l’État, mais l’indemnisation des dégâts reste toujours de la compétence des fédérations. Ces mesures exceptionnelles montrent à quel point la régulation du gibier est aujourd’hui un enjeu d’équilibre entre nature et économie.

Prévenir les dégâts : une obligation partagée

Avant d’être indemnisé, l’agriculteur doit prouver qu’il a mis en place des moyens de protection adaptés : clôtures, répulsifs, surveillance nocturne… Si ces mesures ne sont pas jugées suffisantes, une minoration de l’indemnisation peut être appliquée. À l’inverse, des aides financières peuvent être versées pour la pose de clôtures électriques ou de dispositifs de dissuasion. La prévention fait désormais partie intégrante du dispositif.

Un système critiqué mais incontournable

Certains agriculteurs critiquent des délais de paiement trop longs, une complexité administrative ou une sous-évaluation des dégâts. D’autres estiment que les chasseurs ne régulent pas suffisamment la population de sangliers. De leur côté, les fédérations rappellent que le système est financé par les chasseurs, sans soutien direct de l’État, et que la pression cynégétique a rarement été aussi forte. En 2023, plus de 800 000 sangliers ont été prélevés, un record.

Une évolution en cours

Depuis plusieurs années, le ministère de la Transition écologique réfléchit à réformer le système d’indemnisation pour mieux responsabiliser l’ensemble des acteurs : chasseurs, agriculteurs, propriétaires fonciers et État. Parmi les pistes envisagées : un plafonnement des indemnisations, une contribution financière des exploitants agricoles, ou encore une gestion plus territorialisée des plans de chasse. Rien n’est encore tranché, mais la durabilité du dispositif est au cœur des débats.

Un système d’indemnisation qui fonctionne mais…

Le système français d’indemnisation des dégâts de gibier repose sur une idée simple : le droit de chasse implique une responsabilité vis-à-vis des conséquences de la faune sauvage. S’il reste perfectible, il permet chaque année à des milliers d’agriculteurs de faire face à des pertes importantes. Un équilibre fragile, entre régulation, dialogue territorial et solidarité cynégétique.

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Rédacteur en chef, SoChasse

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